Because the night

Je tiens, ici, l’information la plus insignifiante, aux premiers abords, que je n’ai jamais eu la chance de partager avec vous sur ce blog : les villes de Los Angeles, puis de New York City, vont troquer l’éclairage à vapeurs de mercure, qui illumine nos nuits depuis un siècle, contre l’éclairage à LED. Et, tenez-vous bien, je vais débattre des conséquences de cette information, entre autres choses, dans la suite de cet article.

Baldine Saint Girons, dans son immanquable ouvrage Les Marges de la nuit, détaille – voire créée – une passionnante histoire de la peinture nocturne, que l’on va étendre facilement au cinéma nocturne. Elle distingue notamment deux formes de représentations de la nuit :

La première consiste à scruter son visage (peindre la nuit) tandis que la seconde, attentive aux contre-pouvoirs, élit la nuit pour compagne et collaboratrice éminente (peindre avec la nuit).

J’ai bien peur qu’il faille s’arrêter sur la subtilité et l’importance de ces formes. Comparons, par exemple, avec quelque chose de plus parlant au cinéma : le son. Jusque dans les années vingt, on filmait le son, grâce aux cartons qui venaient le matérialiser, principalement. Puis, est venu le parlant qui a permis de filmer avec le son. Une simple préposition peut contenir beaucoup, et il vous suffit de comparer M le Maudit et Le Testament du docteur Mabuse, que Fritz Lang a réalisés à deux ans d’écart, pour bien vous mettre en tête la différence que cela a créée. Et l’on peut ainsi conclure que c’est beau une ville la nuit mais, surtout, que ce ne sera plus jamais comme avant.

Cet élément – les éclairages publics – n’est que l’un de ceux qui ont cette évolution radicale, cette révolution pourrait-on dire, amorcée dernièrement. Les mots de Baldine Saint Girons semblent encore être prémonitoires :

La nuit est ce dont [le cinéma] opère la résurrection concrète, mais aussi ce qui [filme], cet artiste à laquelle nous nous identifions sans jamais l[e] rejoindre. Le [film] célèbre alors la vision tout en en marquant ses limites et la défaite de l’œil comme organe.

Les capacités des dernières caméras numériques, ainsi que les développements annoncés dernièrement, permettent d’établir comme certaine la « défaite de l’œil comme organe » : nous devenons capables, à l’heure actuelle, de filmer dans une obscurité de plus en plus complète, bien au-delà de ce que l’œil peut percevoir. Ce qui ne veut pas dire que l’on va pouvoir se passer de lumières ni de ces chefs opérateurs que j’entends déjà gronder à la lecture de mes mots.

Mais l’on va pouvoir enfin se passer, si on le souhaite, de tous ces artifices qui ont longtemps fait figure de nuit au cinéma : éclairages difformes avec ombres expressionnistes, nuit américaine, nuits brutes, bouchées et bruitées de la Nouvelle Vague… Sans souci symbolique, sans code moralisateur, sans contrainte technique, la nuit peut se présenter à la caméra, sous son plus simple jour. Et continuer ainsi, à « nous rend[re] spontanément métaphysicien ». Car si « Sigmund Freud fait du songe le gardien du sommeil », « cette garde n’empêche pas le rêve de provoquer la pensée et d’accéder à la conscience. [Et] seuls les cinéastes peuvent rendre compte du dynamisme de ces apparitions. »

Et vous, à quoi pensez-vous la nuit ?