Une souris sur la tête

Si j’ai pris plaisir à écorner gentiment l’engouement actuel pour ces annonces de nouvelles caméras « révolutionnaires » qui sortent presque chaque mois, je ne peux pas nier suivre de très près l’évolution passionnante que ces objets connaissent actuellement. Ma favorite dans cette féroce compétition technico-marketing est la GoPro. Et je vais vous prouver qu’elle constitue, assûrément, l’un des avenirs du cinéma.

Cette caméra a, évidemment, une sale réputation : conçue il y a treize ans par un surfeur au chômage, sa commercialisation, en 2005, a, d’abord, passionné les fans de sports extrêmes et de vidéos en ligne. Des publics, a priori, bien éloignés du chef opérateur classique. Le marketing ingénieux de la marque, qui a tant aidé à l’imposer par la suite, n’a pas davantage augmenté sa popularité auprès d’une profession qui cultive volontiers, à tort ou à raison, le goût du secret. Il y a également ce prix ridicule : entre 250 € et 450 €, c’est rédhibitoire dans une économie fondée sur la location et qui ne rechigne pas à maintenir une politique tarifaire élevée – regardez par exemple ces 75 000 $ pour une Alexa Studio… d’occasion. Et pourtant, force est d’admettre que cette caméra qui tient dans la main et ne pèse que 136 grammes joue de plus en plus dans la cour de ses consœurs respectables.

Plusieurs indices forts confirment cette tendance : cette année, la GoPro est listée parmi les caméras utilisées sur un des films nommés pour les Oscars 2014. Leviathan, expérience documentaire éprouvante et atypique, entièrement tournée avec cette caméra, est sortie cet été dans les salles françaises. Un autre court métrage stimulant, Run Like Hell met également en avant son tournage exclusivement en GoPro :

Sans n’avoir encore connu des succès comme ceux de la RED ou du 5D, ces frémissements sont confirmés par les capacités de l’objet : une sensibilité de base de 640 ISO, avec 8 diaphs de lattitude de pose, ouverture à 2,8, résolution de 2,7 K à 30 images par seconde, et en full HD jusqu’à 60 images par seconde. Pour ceux qui sont froissés par les chiffres, résumons en disant que les appareils photos d’il y a cinq ans ne faisaient pas mieux, pour cinq fois plus cher. Et les caméras numériques professionnelles non plus pour cent fois plus cher.

En terme d’ergonomie, ce n’est pas non plus pire qu’une Blackmagic ou même un appareil photo reflex qu’il faut suréquiper ensuite pour pouvoir l’utiliser. Mieux qu’un « chat sur l’épaule », la GoPro est comme une souris sur votre tête ou sur votre corps. En outre, elle peut être pilotée depuis un smartphone, dont l’écran n’a rien à envier à ceux intégrés à n’importe quelle autre caméra sans visée optique.

Je ne prétends évidemment pas ramener cette GoPro à ce qu’elle n’est pas, et il faut bien prendre en compte l’écart technique qui la sépare d’autres caméras plus onéreuses. Mais, contrairement à ces dernières, ce qui la rend, elle, si intéressante pour les réalisateurs, ce sont ces promesses qu’elle esquisse : Alain Cavalier rapportait comment l’introduction des caméras DV avait révolutionné sa pratique et lui avait permis, peu à peu, de devenir un véritable filmeur, autonome, et d’atteindre à ces formes de films si particulières qui le caractérisent depuis vingt ans. Personne n’oserait affirmer que Pater n’est pas du cinéma parce qu’il a été tourné avec une caméra quasiment accessible au grand public. Mais personne n’oserait dire non plus que ce film aurait pu être tourné, sous cette forme, dix ou vingt ans auparavant.

Parallèlement aux caméras, les films évoluent fortement sur le plan formel. La série Breaking Bad tirait un excellent parti de ces GoPros en ponctuant les actions par ces plans vraiment étonnants. Les caméras haut de gamme du type RED ou Alexa ont leurs lots d’avantages, notamment techniques, mais ne permettent pas, esthétiquement, des expérimentations aussi novatrices que la GoPro. Il me paraît clair que la GoPro est appelée au même avenir, et que nous avons la possibilité et la responsabilité de faire passer ces caméras des Top 10 de l’Internet au meilleur des salles obscures. Et je vous donnerai davantage de preuves irréfutables dans mes prochaines réalisations.

Et vous, comment tourneriez-vous un film en GoPro ?