Le temps des records                                          

Le mot record signifie en anglais aussi bien « enregistrer » que « résultat supérieur à tout ce que l’on connaissait jusqu’alors » si l’on en croit le vénérable CNRTL dont la sagacité dépasse bien celle des immortelles andouilles. Ses origines latines, via l’ancien français se recorder, nous mènent à l’esprit, l’intelligence, à ce qui revient en tête et au cœur.

Ce double sens du mot anglais est fait pour le cinéma : celui-ci a pour essence même d’enregistrer, doublement, par le son et par l’image, le monde qui se présente à ses appareils de captation. Et il n’a de cesse de mettre en avant ses plus hyperboliques excès, économiques, artistiques ou médiatiques.

Le film « cinématographique » le plus long de l’histoire du cinéma s’appelle Le Voyage et nous est dû à l’inarrêtable Peter Watkins, dont d’autres films atteignent allègrement les trois, voire six heures. Remarquons qu’il dépasse ainsi et à peine une saison de Game of Thrones, mais qu’il stimulera tout autrement votre temps de cerveau disponible que cet ersatz médiévo-congelé des Feux de l’amour.

Albert Serra nous avait prévenu, une fois le pied mis dans le « cinéma subversif », il n’est plus possible d’en sortir ne serait-ce qu’un doigt. L’insipide mélasse qui nourrit et pourrit aussi bien les séries télé, le Marvel Cinematic Universe ou les productions professionnelles françaises n’est pas plus regardable que la plupart des Godard, hormis sa meilleure période, la plus expérimentale, et aussi la plus dénigrée, la seule qu’il n’osa pas signer de son nom divin.

« Le plus long dans l’éternité, c’est la fin » disait Franz Kafka ou Woody Allen. Sur les quatorze heures que dure Le Voyage, une bonne demi-heure est consacrée au déroulant de fin qui parvient à peine à contenir les innombrables parties à l’œuvre. Mais ce n’est pas pour rien que Watkins est le seul réalisateur de l’histoire à avoir reçu un oscar du meilleur documentaire… pour une fiction.

Ce film est subversif sur toute sa forme autant que son contenu est radical dans toute sa substance, rêvant rien moins que de subvertir tous les esprits jusqu’aux quatre coins de la planète. Une ambition hors norme mais à peine suffisante pour pouvoir espérer en des lendemains moins nucléaires, militaires et capitalistes. D’une actualité brûlante.