Assassin de la police

Comme toute personne ayant à écrire fréquemment et passionnée par son médium, la question de la typo se pose très vite lors du développement d’un scénario. Et là, permettez-moi de vous révéler que les normes en vigueur, même actuellement à Hollywood, sont d’une obsolescence incroyable.

C’est un peu comme si on continuait de se munir de son gourdin pour aller trouver de la viande, de nos jours, chez le boucher. Le soi-disant summum de la typographie scénaristique, que propagent toujours les derniers logiciels du moment, consiste à n’utiliser que la police de caractères Courier, dont les ancêtres viennent de fêter leurs 150 ans. Le problème fondamental est que cette police est absolument illisible, surtout sur les près de 100 pages que remplit habituellement un scénario : dessinée à cause des mécanismes des machines à écrire du XIXe siècle qui imposaient une largeur de caractère constante, elle est totalement inadaptée à la vision humaine qui devine bien plus les mots qu’elle ne les déchiffre réellement. Vous vuos en cnovianrcez falciemnet.

Pour The Shining, à une époque d’ordinateurs encore balbutiants, avec un modernisme incroyable, Stanley Kubrick avait utilisé une police moderne, de type grotesque dont les origines ont à peine plus d’un siècle ! Le film ne semble pas en avoir pâti, et les lecteurs du scénario ont dû bien le remercier. Car, pour ceux qui ne le savent pas, lire un scénario est de toute façon à peu près aussi palpitant que lire la feuille d’itinéraires d’une étape du Paris-Dakar, et je vous mets au défi d’essayer si vous ne me croyez pas.

Certains arguent alors que la monochasse de cette police lui permet d’approcher plus précisément la sacro-sainte règle du « 1 page = 1 minute » qui permet à tout producteur de connaître la durée d’un scénario sans en lire la moindre page. Ça n’a vraiment et clairement pas de sens, la « preuve » en image ci-dessous avec deux mêmes pages du scénario de Big Fish, l’une lisible et l’autre archaïque :

Ainsi, en 2014, ceux qui nous arrachent les yeux à encore considérer le Courier comme un parangon de professionnalisme devraient être pendus aux empattements de leurs caractères antédiluviens. L’intéressant logiciel Highland permet d’utiliser une variante de Courier, avec ou sans empattements, mais toujours monochasse. Personnellement, la police Myriad Pro me paraît allier au mieux neutralité d’apparence et fluidité de lecture, à l’écran comme à l’impression, même si la Frutiger m’a aussi tenté.

Et vous, de quelle police rêvez-vous ?

Depuis la parution de cet article, et, notamment, l’utilisation du programme LaTeX, c’est maintenant la police Bembo Book qui a mes faveurs, en alternance avec la Verlag pour les passages sans empattement.