Emporté par le maelström des événements de la semaine dernière et par son grand âge de quatre-vingt-douze ans, Francesco Rosi est donc mort, samedi dernier 15 janvier, dans un relatif et injuste silence cinématographique. Pour vous donner une idée de ce qu’a pu réussir ce maestro, imaginez, un instant, des sujets aussi forts et poignants que les meilleures histoires des frères Dardenne, mais incarnés dans des épopées baroques et virtuoses dignes des meilleurs films de Scorsese. C’est à ce génie des années soixante et soixante-dix que nous voulons rendre un bref hommage aujourd’hui.

Pour résumer rapidement sa carrière, nous mentionnerons ses débuts comme assistant auprès de Luchino Visconti sur La Terre Tremble, une œuvre phare des années cinquante que seul l’aristo-bolchévique pouvait mener. Ces deux-là et leur autres compères dits du néoréalisme ont révolutionné le cinéma… un peu comme les portables ont pu révolutionner la téléphonie à une autre époque. Il y a eu un avant et un après de ces « nouvelles vagues » – dont la française n’est ni l’unique, ni même la première – qui se retrouve jusqu’au Jason Bourne et autres blockbusters de nos jours.

Mais Francesco n’est pas intéressé (que) par l’état de l’art. Il vient d’un Sud de l’Italie misérable, très à la traîne du reste du pays et où règnent, évidemment, parmi les paysans en guenilles, mafia, camorra et autres pègres. D’où ses sujets de prédilection qui tournent, presque à l’obsession, autour de quelques thèmes : les hors-la-loi, soit exploitants retors façon Le Parrain, soit bandits au grand cœur genre Robin des bois ; les grandes compagnies qui viennent saigner sans scrupules des populations entières ; les procès impossibles menés contre le terrorisme dans les années soixante-dix…

Ce croisement d’ambitions a donné, dans les meilleur cas, un style Rosi très reconnaissable et appelé “film-dossier”. Mêlant films d’archives, reportages et fiction, portés par les meilleurs comédiens de l’époque – Gian Maria Volonté, Lino Ventura…, ses meilleurs titres comme Salvatore Giuliano, Lucky Luciano ou Cadavres Exquis ont connu autant un succès publique que critique, et remporté, entre autres, les plus hautes distinctions dans les trois plus grands festivals de l’époque, Cannes, Berlin et Venise.

N’ayant pu échappé ensuite au plus grand naufrage artistique de tous les temps — a.k.a. les années 80 —, l’homme a préféré se retirer dignement après quelques derniers films moins réussis et avant de s’éteindre le week-end dernier.