WE❤︎SPOILER

Oui, vous nous avez bien lu et Wikipedia le confirme : Derek Christopher Shepherd, l’un des protagonistes de la discutable série Grey’s Anatomy est décédé dans l’épisode diffusé par la chaîne ABC le 23 Avril dernier. Vous me direz, qu’est-ce qu’on en a à faire ? Pourquoi parler de cette série que nous ne regardons même pas ? Si nous abordons ce sujet, sans prendre de pincette, c’est qu’il remet au goût du jour le soi-disant problème des spoilers. Et, là-dessus, nous avons plein de choses à dire, jusqu’à en conclure Attention spoiler ! Nous allons dévoiler la conclusion de cet article !! que les spoilers ne spoilent rien du tout.

Qu’est-ce qu’un spoiler ?

To spoil, en anglais, signifie gâcher. Le nom qui en est tiré, spoiler, n’a pas vraiment d’équivalent français (sauf à parler d’automobile…), et prend donc le sens de cette chose – article, tweet, ami ou belle-mère – qui vient vous gâcher l’histoire d’une œuvre en vous en révélant la fin – ou, tout du moins, un élément important de l’intrigue.

Le spoiler est une espèce fort prisée de notre actualité. Prenons un cas d’école : la mort de Derek Shepherd, donc, l’un des principaux personnages de cette série Grey’s Anatomy qui est l’une des plus suivies de notre époque. Cette mort a été relayée par le Figaro, Le Nouvel Obs, TF1, Voici, le Huffington Post, 20 Minutes, etc… Impossible, donc, d’y échapper, surtout si vous suivez la série. Le problème est que beaucoup de gens ne la regardent pas en direct, soit qu’ils ne recoivent pas ABC chez eux, soit qu’ils ne connaissent pas Pop Corn Time que nos amis « ayant droits » préfèrent les laisser mariner quelques mois avant de se bouger pour les diffuser en VF dans le désordre sur TF1. Du coup, une large partie de ces fans aurait « été traumatisée » par cette information dont ils auraient pu malencontreusement avoir connaissance avant de regarder l’épisode. Attention, on ne parle pas ici de tremblement de terre de naufrage ou d’attentat déjoué, hein… mais, soit, admettons, le pot aux roses fut dévoilé en avance, suscita la colère des fans et occupa susbtantiellement les organes d’information.

Pourquoi faut-il aimer les spoilers ?

Et alors ? Eh bien, le – faux – problème est là : les spoilers gâchent-ils vraiment quelque chose ? Avec cet aplomb et cette franchise qui nous caractérisent, nous devons vous apprendre, que, non, en fait, les spoilers ne gâchent absolument rien. C’est même scientifiquement prouvé : des chercheurs ont comparé le comportement du public face à une même histoire, une partie en connaissant la fin, l’autre l’ignorant. À votre plus grand étonnement, sans doute, vous apprendrez que le public spoilé s’est davantage intéressé à l’œuvre que celui ne connaissant pas la fin en avance. Vous avez bien lu, les spoilers ont donc pour avantage – et non pour inconvient – de permettre de mieux apprécier le livre ou le film que l’on regarde.

Vous pouvez donc vous ruer sans frémir sur cet article qui dévoile les quinze plus grands retournements de situation au cinéma ou sur feu le site La Fin du film qui résumait les dernières minutes de tout un tas de chouettes films.

Plus sérieusement, en quoi les spoilers, en dehors d’études statistiques, ne gâchent-ils rien ? Pour reprendre un célèbre film américain, il suffit de comparer avec une boîte de chocolats : certes, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Et même, on ne s’en souvient jamais. Pourtant, on y retourne chaque fois, on en mange à chaque Pâques et avec plaisir. Car ce sur quoi on va tomber, le goût, in fine du chocolat sur lequel on tombe importe peu – sauf s’ils sont à la liqueur de cerises, évidemment, ça c’es rédhibitoire. Un film – tout comme un roman ou une pièce de théâtre –, c’est pareil : quelle que soit la fin, c’est l’expérience, projection, représentation ou lecture qui importe. Ce n’est pas moi qui ai inventé ça, mais le père Baudelaire : l’expérience que l’on éprouve devant une œuvre d’art est fondamentale, les sensations et les pensées sont au cœur de la rencontre entre une œuvre et son public.

C’est quand même important, ce qu’il dit là, l’écrivaillon. La preuve par le contraire en est évidente : si seule l’histoire ne comptait, autant lire les résumés des intrigues sur Wikipédia. Et là, c’est un défi que je vous lance, d’essayer, par exemple d’y lire toute l’histoire de Game of Thrones… Vous verrez, c’est franchement indigeste.

Pourquoi alors nous attacher aux histoires ?

On ne nie pas qu’il faille, entre autres choses, des histoires à raconter, bien sûr. D’ailleurs, des exemples d’artistes ayant travaillé toute leur vie autour d’une seule histoire ne manquent pas : il y a ceux, comme Balzac, qui ont su briller par une seule œuvre démesurée venant « concurrencer l’état civil », ou ceux, comme Barbara Cartland, qui ont photocopié 720 fois dans leur vie la même histoire. Si on ne s’en tenait qu’au simple intérêt de l’histoire, ces deux écrivains seraient donc du même niveau et du même intérêt…

L’histoire n’est donc qu’un élément à remettre parmi d’autres de l’expérience artistique. Et si son rôle – et en même temps celui des spoilers – est tant mis en avant de nos jours, c’est parce que le poster ci-dessus peut exister. On en est amené à soupçonner Marvel d’être plus proche de Barbara Cartland que de Balzac, et de préférer vendre 25 fois la même histoire qui a fait ses preuves plutôt que de se risquer à proposer une expérience inédite…