Le nouveau Nouvel Hollywood

Nous reprenons le très bon article de Punchdrunkpop sur l’état actuel du cinéma hollywoodien, qui fait suite à la sortie mouvementée du nouveau nanar en justeaucorps, Les 4 Fantastiques. Notamment parce que nous avons aussi-déjà constaté cette tendance « actuelle » – depuis quarante ans… – du cinéma américain à se tirer une balle dans le pied.

Josh Trank avait 27 ans quand est sorti Chronicle. Un petit film, tout à fait sympathique et intelligent, d’un budget de 12 millions de dollars qui faisait rencontrer les deux grandes modes du moment : le film de super héros et le film de found footage, qui permet de faire un film de genre à moindre budget puisque c’est dans le noir et qu’on ne voit rien. Il est alors devenu le plus jeune réalisateur à être n°1 au box-office US, avec juste derrière lui Steven Spielberg pour Les dents de la mer et James Cameron pour Terminator. Prometteur, donc.

Josh Trank, à 30 ans, vient de quitter le spin-off de Star Wars, information annoncée par un communiqué tout beau tout propre. Les ragots sont sortis très rapidement : il a été viré. Le tournage des 4 fantastiques (un reboot lancé après 2 films récents dans le seul but de garder les droits) s’est mal passé, entre autres à cause de son comportement « problématique ». « Problématique » étant le mot hollywoodien pour « drogué » : il disparaissait pendant le tournage, était « erratique » sur le plateau, avait la tête ailleurs, en s’engueulant régulièrement et très fort avec son scénariste ou des journalistes. Le tournage a été repris en main par le studio, il a été viré du montage, et écarté des reshoots. Et donc viré de Star Wars.

En 3 ans, donc, un jeune mec est passé de next big thing à grillé. Les ragots sont sortis tellement vite qu’ils devaient être largement répandus, et comment faire confiance à quelqu’un qui a foiré la plus grande opportunité de sa vie et de sa carrière, celle de réaliser Star Wars ? On n’entendra donc probablement plus parler de lui avant quelques années, quand on retrouvera son nom au générique d’un épisode random – même pas un pilote – de série TV.
Josh Trank s’est crashé et il va burner, mais il n’est que la victime d’un système général. Cette dernière décennie pour le cinéma a été marquée par une aversion maladive au risque. Le cinéma est une industrie hyper risquée : les films coûtent cher. Ils peuvent se planter, et quand ils se plantent, ça peut être douloureux. Pour éviter les risques de se planter face à la concurrence massive, il faut mettre les moyens. Les coûts de production explosent donc. Or, l’industrie va mal, concurrencée par des dizaines d’écrans et de multiples moyens de pirater. Il faut donc faire rentrer le maximum d’argent le plus vite possible, donc les frais de marketing explosent. Et à ce niveau de dépenses, on ne peut plus prendre aucun risque. Donc toute l’industrie s’organise pour ça. L’élément le plus visible est bien sûr l’explosion de suites, reboots, remakes, adaptations. Elles apportent satisfaction aux 2 parties : les studios sont contents d’avoir une valeur sûre, déjà prouvée, et les spectateurs savent exactement ce qu’ils vont voir, car pour eux aussi une soirée au cinéma coûte cher. La suite de la stratégie a été la maîtrise des « talents », qui coûtent cher, et qui sont puissants et imprévisibles. Le signe plus visible est la fin des méga-stars, qui gagnaient 20 millions de dollars, plus 20% des recettes, comme Tom Cruise sur La guerre des mondes, l’exemple qui a traumatisé Hollywood puisqu’entre lui et le deal similaire pour Spielberg, le studio n’a pas gagné d’argent sur un film qui a pourtant rapporté 600 millions de recettes. Cette ère est terminée. Tom Cruise ne lâche rien parce que c’est le meilleur, le plus grand, le plus beau et le plus fort, mais les lessers comme Brad Pitt ou George Clooney sont désormais plus sur le créneau des films prestigieux à moyen budget, avec un blockbuster de temps en temps. Will Smith a l’air un peu fini. Angelina Jolie semble gérer sa marque dans le seul but de pouvoir financer ses activités humanitaires ou de réalisatrice, les 2 se mélangeant quand elle fait tourner Mélanie Laurent. Et derrière, plus personne. Désormais, tout le système est bâti sur le modèle James Bond : la star, c’est la marque. Elle appartient au studio (Disney a acheté Star Wars pour 4 milliards de dollars), elle peut durer des décennies (outre le cas particulier des Marvel, les cas de Fast & Furious qui entre dans sa 15ème année et Paramount qui a lancé le travail sur une exploitation de plusieurs suites et spin-offs de Transformers, sont iconiques), elle peut se décliner à l’infini (Disney rentabilisera Star Wars dans ses parcs d’attraction, et l’ère des cross overs style 21 Jump Street meets Men in black arrive). Et personne ne coûte trop cher puisque tout le système est basé sur le fait de remplacer les gens comme on veut.

Un exemple fort de ce changement d’ère était Spider-Man. Pour la première trilogie, Tobey Maguire avait été payé 4 millions pour le 1, 17 millions plus 5 % des recettes pour le 2, et 15 millions plus 7,5 % des recettes pour le 3. Il voulait 20 millions pour le 4, mais a été remplacé dans un reboot par Andrew Garfield qui lui a été payé 500 000 $ pour le 1, un million pour le 2, et a été viré du 3 pour… lancer un autre reboot. Le nouvel acteur, Tom Holland, absolument inconnu, a 19 ans : parions qu’il touchera encore moins que 500k. La même chose fonctionne pour les Marvel, et tous les autres gros trucs du moment. Vu comme ça, le système est avantageux. Mais il a ses limites. Le rôle des superstars était avant tout d’ouvrir un film, de lui permettre sans notoriété pré-existante d’avoir un gros premier week end, et ensuite il se démerdait. Cela permettait à des films moyens, ou à de gros films originaux, de se lancer. Mais comment lancer un moyen ou gros film original sans movie star ? La faille du système est apparue violemment avec Blackhat de Michael Mann. Un film d’action, 70 millions de budget, avec en lead Chris Hemsworth, un jeune mec ayant joué dans 4 films à plus de 150 millions de recettes aux USA. Mais ces films étant des adaptations de comics ou de dessins animés, il n’a pas de fans, pas de célébrité propre, et le film a fini avec 8 millions de recettes. Robert Downey Jr. joue dans les 3 plus gros démarrages de tous les temps aux US, mais la seule fois où il a tenté un film original mais commercial pour adultes, le démarrage a été de 13 millions. Qui peut penser que Chris Pratt a les épaules pour ouvrir un film en dehors de franchises ? L’autre versant est artistique et créatif. Dans les talents chers, puissants et incontrôlables, il y avait aussi les réalisateurs. Et l’étape a donc été, aussi, de s’en débarrasser. La grande phase est donc d’engager de jeunes réalisateurs. Ils sont très peu chers (les réalisateurs de Captain America 2 ont dit avoir moins gagné que quand ils faisaient de la pub). Ils ne sont pas puissants, le vrai pouvoir est dans les mains des exécutifs, ils ne font qu’obéir. Finies, les batailles autour du director’s cut : il n’en sera jamais question. Finies, les interviews où le réalisateur râle sur les cadres en costume-cravates du studio : à la première fantaisie de ce genre ils ne sont pas réembauchés. Bref, au premier problème, ils sont virés, comme Josh Trank peut en témoigner.

Star Wars 8 et 9 seront réalisés par Rian Johnson, réalisateur de 40 ans d’une sympathique et parfaitement anecdotique série B, Looper. Le premier spin off sera réalisé par Gareth Edwards, réalisateur d’un petit film de monstre anglais (Monsters) puis d’un blockbuster navrant (Godzilla). Le réalisateur de Jurassic World, qui sera l’un des 3 plus gros succès de tous les temps, a 38 ans, s’appelle Colin Trevorrow mais tout le monde se fout de comment il s’appelle et il n’avait réalisé qu’un film à tout petit budget resté inédit en France. Celui du prochain Terminator a plus de 60 ans, mais est un réalisateur de télé passé au cinéma pour réaliser… Thor 2 : un technicien, donc. Comme le réalisateur des derniers Harry Potter. Les réals du prochain Pirates des caraïbes sont des réalisateurs de pub, auteurs au cinéma de Bandidas produit par Besson, qui en France avait lancé cette mode il y a déjà bien des années. Et là encore, les Spider-Man résument à eux tous seuls la tendance : la première trilogie était réalisée par Sam Raimi, réalisateur connu et culte, qui avait le pouvoir sur ce qu’il faisait. Le réalisateur du reboot fut Marc Webb, réalisateur de clips passé avec succès au cinéma avec 500 jours ensemble. On ne comprenait pas bien le rapport avec Spider-Man mais il avait un minimum d’intérêt. Le réalisateur du nouveau reboot, fait sous l’autorité de Marvel, est Jon Watts, et sa filmo ressemble à une blague.
Tout cela ne poserait pas de problème si cela servait à des jeunes réalisateurs de se faire la main pour ensuite s’affirmer, comme le faisait Roger Corman, ou quand James Cameron avait commencé avec Piranhas 2. Mais ils ne s’affranchissent jamais, ne s’affirment pas. Ils seront virés et remplacés par d’autres dès qu’ils auront un minimum de pouvoir, puisqu’ils ont été embauchés précisément pour cette raison.

Mais qui seront les James Cameron, Steven Spielberg, Martin Scorsese, De Palma de demain ? Le système actuel ne leur laisse pas les moyens de se faire la main, de faire leurs grands films. On se raccroche à quelques uns, mais la réalité est que la carrière de J.J. Abrams sera constituée de Mission Impossible 3, Star Trek, Star Trek 2 et Star Wars 7. Un peu dur d’idolâtrer ça. Michael Bay n’a jamais eu la carrure de ses prédécesseurs, mais comment rebondira-t-il après avoir mis sa carrière et son œuvre entre parenthèse pendant 10 ans au seul profit des Transformers ? Peut-on considérer Sam Mendes comme un auteur, sera-t-il jamais à l’initiative d’un grand film, et si oui aura-t-il le pouvoir de le faire ? Bryan Singer semble lui aussi avoir trouvé sa planque avec X-Men, après avoir échoué à faire de grands films en dehors. Au final, même David Fincher se plie à cette loi en se spécialisant dans ses polars pour adultes, et n’a plus jamais tenté le coup de vraiment sortir des cases depuis la plantade de Fight club. Et toute la génération précédente est sur la fin : Spielberg fait ses films à moyen budget, moyennes recettes et moyen intérêt dans son coin, Scorsese fait ses films à Oscar qu’on voit parce que c’est lui tous les 2 ans, De Palma est à la retraite, Lucas a vendu sa boîte, James Cameron va passer 15 ans sur Avatar.

(Disney a récemment mis fin à son contrat avec Jerry Bruckheimer, au même moment Warner mettait fin à son contrat avec Joel Silver : la situation concerne donc aussi les producteurs stars)

Bien sûr, il n’y a pas que les blockbusters. Mais le cinéma américain connait la même fragmentation que le cinéma français, entre énormes machins et films « du milieu » qui sont de plus formatés et sans risques (en gros : des comédies, les USA ayant quelques films de genre en plus), les films « artistiques », estampillés comme tels, qui sont dans leur petite case (moins de 150 copies en France, exclusivement d’octobre à décembre aux Etats-Unis, avec désormais une nouvelle fascination pour les biopics) ont de plus en plus de mal à se faire. Mais le cinéma américain (et passé un certain cap, le cinéma français aussi, mais c’est une autre question) s’est construit sur l’entre-deux : les vrais bons réalisateurs qui faisaient des films commerciaux et populaires, et artistiques.
Le résultat est visible dès maintenant. On s’accroche comme des noyés à une bouée aux quelques bons films par an qui nous rappellent que tout ça est quand même bien, à Christopher Nolan, la carrière des Wachowski ressemble à un poulet décapité, mais il n’y a en vérité pas grand chose dont on parlera encore émus dans 10 ans, les films qui sortent des cases, qui surprennent et qui inspirent des dizaines d’autres films sont de plus en plus rares.

Mais le cinéma est une industrie, et une industrie qui n’investit pas est une industrie qui meurt. Or, l’investissement premier dans une industrie artistique, c’est les artistes. Les laisser travailler, grandir, se planter, essayer, créer. Car au final, c’est dans leur cerveau que naîtront les idées qui feront venir les gens en salles dans 30 ans parce que, quels que soient les modes de consommation des films à ce moment, c’est toujours les idées qui feront venir les gens dans les salles. Or, l’idée d’un Avatar, qui fait rêver tout le monde et rend tout le monde très riche, ne viendra jamais d’un exécutif ou d’un Josh Trank à qui on aura pas donné les moyens de se déployer.

(La solution est donc de se rendre compte qu’aller voir un film revient à voter pour tout le processus qui l’a fait arriver à l’écran, et donc d’être hyper sélectif tout en ayant conscience qu’avec les spectateurs chinois qui déversent des centaines de millions sur tout et n’importe quoi on ne fait pas le poids et on ne peut pas test mais de toute façon on peut se rassurer en pensant que tout ça est bientôt fini puisqu’on va tous mourir)

(Mais peut-être aussi que dans 15 ans, viendra une grande phase où de jeunes gens auront accès à beaucoup d’argent pour faire des trucs originaux après ces années de franchises, un peu comme la période post-Pulp fiction dans le cinéma indépendant)