Des torrents et des sources

Cette semaine, l’actualité culturelle a été ébranlée par la fermeture du site T411. Ce site était devenu l’un des plus grands annuaires de téléchargement d’œuvres – plus ou moins – d’art via le protocole BitTorrent. Ses origines québécoises l’avaient spécialisé dans le domaine des œuvres en version française, sur lequel il s’était imposé. Sa destruction immédiate suite aux impulsions belliqueuses de la SACEM et de l’Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle remettent sur le devant de la scène les problèmes d’accès à la culture à notre époque.

D’une part, les industries culturelles et leurs hérauts n’ont de cesse de pourfendre la piraterie et d’en présenter ses acteurs comme d’infâmes hors-la-loi à guillotiner. Ils affirment, sans trop de gêne ni vraiment de source tangible, que cette pratique éhontée les prive d’une manne financière démesurée, qu’elle ruine ainsi les artistes et qu’elle menace de détruire l’art dans un avenir proche. D’autre part, les adeptes de cette pratique, encore condamnable à l’heure actuelle, revendiquent, dans le meilleur des cas, la vision libertaire d’un accès gratuit et illimité à la culture. Ils mettent en avant la financiarisation outrancière de notre société, dénoncent les bénéfices qu’empochent, au passage, certaines industries et organismes de collecte de droits – à l’inverse des artistes –, et soulignent ce paradoxe que, jamais, l’industrie culturelle n’a produit autant de richesses.

Pour éviter ce sempiternel débat sans queue ni tête, nous voudrions revenir sur un type d’institutions qui n’est que trop rarement évoqué dans ces histoires : les bibliothèques. Depuis des millénaires, peu à peu, la création de ces lieux a permis un accès le plus large possible et au plus grand nombre à une infinité de livres et d’autres supports artistiques. Qu’elles qu’en aient été les intentions, leur création et leur développement, toujours d’actualité, ont véritablement permis l’expansion et la démocratisation de la culture, qui, rappelons-le, n’est rien moins constituée que de l’accumulation de toutes les œuvres existant au monde.

Dans le discours actuel, capitalisme forcené oblige, jamais n’est évoquée cette dimension régalienne que les puissants d’avant et les états d’aujourd’hui acceptent – encore – d’assumer pour les livres papier. Le libéralisme libertarien de la plupart du monde du web a totalement empêché celui-ci de participer à la construction universelle de la culture. L’établissement d’une redevance du même type que celle existant pour les inepties télévisuelles, permettrait la création d’un site web accessible à nous tous – au moins Français –, qui pourraient contenir toutes les œuvres en ligne tout en rémunérant justement les artistes.

Cette mise en ligne ne serait rien par rapport aux efforts titanesques qui ont investis dans la construction de ces édifices séculaires que sont ces « temples du savoir » qui illustrent notre article. Elle permettrait de combattre efficacement la criminalité qui s’est établie parmi les acteurs de cette pratique bien comparables aux pires malfrats de la prohibition. Elle permettrait enfin aux gens de comprendre pourquoi Cyril Hanouna ou les séries ne sont que des pis-allers. Hélas, mille fois hélas, les États n’en ont cure et, n’écoutant que les puissances financières, ils préfèrent bien davantage payer la répression